Alors que l’opposition congolaise peine à se structurer et que le pays reste partiellement occupé, Steeve Mbikayi, ancien ministre et député, propose une lecture critique du calendrier électoral et interroge la légitimité d’un départ présidentiel en 2028.
La beauté de la démocratie réside dans sa capacité à équilibrer le pouvoir par une opposition forte, enracinée et crédible. Or, depuis l’alternance de 2018, la République démocratique du Congo semble orpheline de ce contrepoids. L’opposition, autrefois force de mobilisation et de régulation, s’est effacée dans l’exil ou le confort numérique. Qualifiée d’ »opposition ya pete », elle se manifeste davantage sur les réseaux sociaux que dans les institutions, laissant le débat national sans véritable contradiction.
Ce vide politique n’est pas seulement symptomatique d’un affaiblissement partisan : il révèle une crise de substance démocratique. Dans un pays où la liberté d’expression est tolérée, l’absence d’une opposition active devient paradoxale, voire inquiétante. Mbikayi rappelle que même sous la dictature de Mobutu, treize parlementaires avaient osé défier l’ordre établi par une lettre de 52 pages, créant un parti interdit et affrontant la répression. Leur courage, catalysé par les vents de la perestroïka, déboucha sur le discours du 24 avril 1990 et le retour au multipartisme. Ce précédent historique souligne le contraste avec l’apathie actuelle : aujourd’hui, dans un régime pluraliste, l’engagement civique semble s’être dissous dans le confort numérique et l’exil stratégique.
Dans ce contexte, l’annonce récente d’un opposant affirmant que le président Tshisekedi devra quitter le pouvoir en 2028, soit dans 1 180 jours, apparaît comme une projection déconnectée des réalités géopolitiques. Pour Mbikayi, cette échéance est juridiquement fondée mais politiquement illusoire. Un pays en guerre, partiellement occupé, ne peut organiser des élections sans risquer de consacrer la balkanisation. Le calendrier électoral, dans ce contexte, devient une fiction institutionnelle.
Pour étayer son propos, l’auteur convoque des précédents internationaux. En Ukraine, Volodymyr Zelensky est resté en fonction après l’expiration de son mandat en mai 2024, faute d’élections possibles. En Syrie, Bachar Al-Assad a prolongé son pouvoir en invoquant la guerre civile. Ces cas démontrent qu’en temps de crise, la continuité institutionnelle peut primer sur le respect mécanique des échéances, dès lors que l’État est menacé dans son existence. La souveraineté territoriale devient alors le socle de toute légitimité démocratique.
Mais au-delà du calendrier, Mbikayi soulève une question constitutionnelle rarement abordée : un mandat présidentiel confié par l’ensemble du peuple peut-il être considéré comme pleinement légitime si le président est empêché d’exercer sur une partie du territoire ? Le temps institutionnel doit-il se suspendre jusqu’au rétablissement de l’intégrité nationale ? Ou faut-il redéfinir les conditions de légitimité dans un État fragmenté ? Ces interrogations, loin d’être théoriques, appellent une réflexion profonde sur la gouvernance en contexte de crise.
Enfin, la tribune déplore la disparition des débats politiques de fond sur les plateaux télévisés. À la place, des communicateurs rémunérés saturent l’espace médiatique, réduisant le débat à des invectives. Mbikayi appelle à un échange contradictoire, entre leaders de niveau équivalent, pour éclairer la nation sur les enjeux de souveraineté, de légitimité et de responsabilité institutionnelle.
Merveille Maleya


